POUR UN TEMPS SOIS PEU
Texte : Laurène Marx
Mise en scène : Lena Paugam
Interprétation : Hélène Rencurel
Création sonore : Antoine Layère
Création lumières : Lena Paugam et Johanna Tyrole
Accompagnement chorégraphique : Bastien Lefèvre
Scénographie (pour la version en salle): Pierre Nouvel
UNE PRODUCTION PORTEE PAR LA COMPAGNIE ALEXANDRE
Ce texte a reçu le prix ARTCENA pour l'aide à la création en novembre 2020
Il a été publié en juin 2021 aux Éditions Théâtrales dans la collection Lyncéus Festival.
Une version in situ de ce texte a d'abord été créée en juin 2021 dans le cadre du Lyncéus Festival - créations théâtrales in situ, à Binic - Etables-sur-mer (22).
Une création en salle est prévue au cours de la saison 2022-2023
Production déléguée : Le Bureau des Paroles / CPPC Coproduction Théâtre de L’Aire Libre, Saint - Jacques-de-la-lande (35), TPA Théâtre Populaire d’Aujourd’hui -Théâtre Sorano, Toulouse (31), Le Printemps des Comédiens, Montpellier (34); Le Nouveau Studio-Théâtre avec le Label Grosse Théâtre, Nantes (44) Soutien La Loge / Fragments
Ce projet est issu d’une commande du Collectif Lyncéus autour du thème « C’était mieux après ». L’autrice a été sélectionnée dans le cadre d’un appel à projet proposant une bourse, une résidence d’écriture, un accompagnement à la publication et une création du texte en version in situ.
Ce spectacle s'inscrit dans le cadre d'une série de portraits de femmes mis en scène par Lena Paugam. ici, elle dirige la comédienne Hélène Rencurel sur un texte autobiographique que lui a confié l'autrice Laurène Marx. A travers le récit du parcours d’une femme trans, elle se confronte à l’idée de féminité. Avec sensibilité et non sans violence, avec la crudité de détails concrets qu’on omet souvent, l'autrice présente ce monologue comme un acte militant. Son écriture vive, tendue, présente un témoignage saisissant sur les conséquences tout à la fois intimes et sociales d’une transition hormonale et médicale.
"
POUR UN TEMPS SOIS PEU (Teaser)
à propos du spectacle...
« Il est certains textes qui bouleversent la vie des gens qu’ils rencontrent en imposant leurs réalités par l’évidence de leur nécessité et de leur force. C'est le cas de Pour un temps sois peu dans mon parcours. La puissance de cette pièce a ouvert dans ma vie, tout comme dans mon travail, de nombreuses mutations. Sa découverte a résonné en moi avec une part intime profondément refoulée, ouvert une porte inattendue, rendu possible le début d'une révolution à la fois philosophique, politique et intime.
J'ai rencontré Laurène Marx en 2019, dans le cadre du Lyncéus Festival. Le comité de lecture dont je fais partie avait sélectionné son projet d'écriture autour du thème "C'était mieux après". Elle a choisi de me confier son texte qu'elle voulait initialement que j'interprète. Mon rapport au théâtre est fait du travail que je mène depuis des années au service des mots, de la langue, de la pensée. Au-delà de la représentation des corps, je cherche à ouvrir la lecture des textes et veille à accompagner les comédien.ne.s dans leur rôle de passeur.se.s.
À travers le récit de son propre parcours de femme trans, Laurène Marx livre dans cette œuvre une intimité sans fards mais non sans pudeur et dignité, une vérité profondément ressentie et transmise avec une absolue détermination, une viscérale colère. J’ai choisi de proposer à Hélène Rencurel d’interpréter cette partition. Je ne souhaitais pas qu'elle cherche à incarner le rôle d'une femme trans mais plutôt qu'elle aborde le texte comme si elle portait la parole d'une femme aimée. Ce spectacle s'est construit comme une déclaration d'amour. C'est d'ailleurs un des sens que nous donnons à la chanson proposée par Laurène placée au centre du spectacle. Nous lui dédions, au cœur de la pièce, un temps de danse, une ode à la joie exutoire.
Pour un temps sois peu raconte les violences multiples d'un monde qui refuse de se défaire d'une idéologie du genre normé et défini par des siècles et des siècles de civilisation misogyne et transphobe. Nous avons été guidé.e.s par le souci de parler à toutes et tous, de raconter, de faire entendre l’existence de ces parcours invisibilisés en tenant aussi bien compte de leurs exceptions et du silence insupportable qui les entourent, que de l’universalité des sentiments exposés dans le texte de Laurène Marx.
Ma mise en scène s’appuie sur la conviction que chacun peut, et doit peut-être, se sentir légitimement concerné par ces questions. La société est en cours de mutation. Les paramètres constructifs qui ont modelé l’existence des femmes et des hommes occidentaux pendant des siècles sont en train de s’effondrer pour rendre possible le dessin du paradigme d’un autre monde des relations inter-humaines et inter-espèces. Il s’agit d’accompagner ce mouvement avec les nombreux individus qui se battent pour mettre des mots sur les réalités omises, cachées, détournées, déformées au nom d’une pensée réactionnaire, de valeurs conservatrices reposant sur le privilège des dominants historiques.
Ce texte nous invite à envisager la possibilité de déconstruire le monde binaire pour accorder une place à chacun.e, à protéger la place de celles et ceux qui cherchent, qui sont en train de se découvrir, qui se tiennent dans un espace d'errance, incertain, par nature fluide, et qui s'y sentent au plus juste de leur être. À travers ce spectacle, je m’engage à mon tour, en tant qu’artiste, avec le moyen d’un théâtre qui refuse et dépasse les assignations identitaires, le diktat de l’image, un théâtre qui cherche à ouvrir les représentations, un théâtre qui fait de la parole rapportée une arme de combat pour souligner les paradoxes et les contradictions, soulever des problématiques, éveiller l’ouverture d’esprit et le goût de la critique, un théâtre colporteur de questions, un art des idées sensibles, un art de l’interprétation au sens noble, humble et généreuse, soucieuse de vérité. »
(Lena Paugam)
Quelques mots dont je ressens l'urgence...
(Texte publié par Lena Paugam sur Facebook le 8 mars 2023)
Il y a six ans, j'ai initié un cycle de créations théâtrales composé comme une série de portraits de femmes emmurées. J'y déclinais plusieurs thématiques liées aux pouvoirs de la parole contre le silence et la peur.
Le spectacle "Pour un temps sois peu" prenait place au sein d'un ensemble d'œuvres qui chantaient chacune à leur manière l'urgence des femmes à se libérer des représentations étriquées de leurs existences. Dans cette mise en scène, l'actrice qui portait le texte autobiographique de l'autrice trans Laurène Marx, le donnait à entendre comme on présenterait le parcours de vie d'une personne aimée. Parce que nous avions conscience des enjeux contemporains de la représentation des personnes trans au théâtre, nous avons travaillé ensemble à faire parvenir au public ces paroles avec le souci constant de tenir à distance toute prétention à l'incarnation, en nous appuyant sur le tutoiement proposé par l’autrice comme mode de narration (« Tu rentres un soir, tu t’assois, tu prends une grande inspiration … »). Hélène Rencurel interprétait le texte sans chercher à jouer le rôle du personnage dont la vie est racontée.
Lors des representations de notre spectacle à Toulouse en novembre 2022, suite aux protestations d'un groupe de personnes contestant notre légitimité politique à porter les paroles de Laurène Marx, un débat a été proposé par le Théâtre Sorano et ma compagnie pour aborder la question de la représentation des corps trans et de la représentativité des personnes minorisées sur les plateaux de théâtre. Ce débat qui, dans les conditions d'une médiation respectueuse des points de vue critiques divergents, aurait pu donner lieu à une discussion passionnante sur l'art de l'acteur de théâtre et les enjeux de son métier au cœur des problématiques liées à la notion d'identité, ne s'est pas, me semble-t-il, déroulé dans des conditions appropriées. (Ce que je dis là n'est pas une attaque contre Alice Needle - la comédienne qui représentait le collectif manifestant son désaccord sur le choix de l'interprète de notre spectacle. Elle a défendu - et je l'en remercie - l'idée d'une opposition non violente dans le cadre de son intervention. Je développerai sans doute mon point de vue au sujet du débat de Toulouse dans un écrit ultérieur.)
Les représentations de "Pour un temps sois peu" au Théâtre 13 prévues en janvier 2023 n'ont pas eu lieu. Je voudrais simplement dire aujourd'hui que ce ne sont pas tant les critiques portées sur le choix de l'interprète que l'ambiguïté de la position de l'autrice qui m'a convaincue d'accepter la proposition d'annulation du spectacle.
Les propos de l'autrice Laurène Marx, aussi contradictoires et versatiles que virulents, postés à la volée sur les réseaux sociaux sans prendre garde à leurs possibles impacts, ont eu raison de notre désir. Je ne crains pas les critiques du public, je suis fière du spectacle que j'ai mis en scène. Je pense que le travail de la comédienne Hélène Rencurel contribuait à y célébrer la puissance sensible de ce magnifique texte. J'ai bien sûr été affectée par les messages privés que j'ai personnellement reçu sur Facebook et Instagram, par la violence des prises de position de certain.e.s militant.e.s n'ayant pas vu notre spectacle et le condamnant par principe. J'aurais voulu que notre spectacle soit vu par le plus grand nombre, qu'il continue à soulever les questions brûlantes de notre société, à provoquer des réactions, qu'il continue à nous rassembler, à nous concerner.
Mais comment porter la parole d'une autrice qui, en dépit de nous avoir donné son accord pour représenter la pièce avec cette comédienne, condamne publiquement notre prétention à raconter son histoire ? Comment une actrice peut-elle monter sur scène chaque soir pour accompagner la voix d'une personne qui l’accable sur les réseaux sociaux en mettant en doute son intention ? Cela n'avait aucun sens pour nous de jouer sans le soutien affiché de l'autrice. Nous n'avions aucunement l'envie d'usurper la place que nous prenions. Nous voulions simplement nous engager aux côtés de toustes celleux qui luttent pour dénoncer les discriminations et les multiples violences subies par les personnes trans aujourd'hui.
Nous portions ce projet depuis trois ans. Laurène Marx avait répondu à un appel à projet lancé par le collectif Lyncéus, dont je fais partie tout comme la comédienne Hélène Rencurel. Ayant écrit son texte sur commande d'écriture autour du thème "C'était mieux après", elle est venue me trouver pour que je le mette en scène et même - au départ - pour l'interpréter moi-même alors que je ne suis pas une comédienne trans. Elle souhaitait alors que je réalise un spectacle qui ne se limite pas à une communauté. "Pas un spectacle T for T" (trans pour les trans), m'avait-elle stipulé. J'ai évidemment accepté sa proposition car je la trouvais pertinente. Elle prenait place dans le cycle de portraits féminins sur lequel j'étais en train de travailler.
Les femmes dont parlent mes spectacles habitent l'oubli. Le théâtre que je cherche entend abattre les murs qui éternisent les solitudes, libérer les paroles enfermées au fin fond des corps, faire entendre les phrases étouffées par la peur, donner à percevoir leurs résonances dans la vie de chacun, nos co- responsabilités, les voies ouvertes vers l'avenir pour déconstruire les systèmes binaires, les discours simplistes, les jeux de pouvoirs, les intimidations, les violences insupportables.
Cette année, peut-être plus que jamais auparavant, j'ai souffert d'être née femme. Je ne le veux plus. Je ne le peux plus. Mon corps traumatisé hurle et ma colère me semble pourtant paralysée. Je continuerai d'avancer sans chercher à porter de coups. Dos rond, criant peut-être, marchant encore, quels que soient les vents, vers un monde qui accepte et défend celleux qui tremblent, celleux qui boitent, celleux qui tanguent, celleux qui doucement murmurent leurs désirs d'exister librement à leur manière, je veux continuer à porter le chant des fragiles, les voix ténues et les langues bégayantes. Je veux faire entendre tous les souffles inouïs à travers de multiples identités quels que soient leurs corps.
En ce jour de fête et de résistance pour défendre les droits de toutes les femmes, je veux affirmer à nouveau l'importance d'agir ensemble, toustes concernées par toustes. Annick Cojean, achevant le livre "Une Farouche liberté" restituant ses entretiens avec la grande Gisèle Halimi, cite cette belle phrase "on ne naît pas féministe, on le devient". Devenons féministes, continuons à le devenir et faisons ensemble bouger les choses.
(Lena Paugam)